Découvrez l’article de Michel Veillon, Directeur général d’Ossabois, sur « La construction bois : une solution bas carbone, sûre et efficiente » dans la revue des Annales des Mines, consacrée aux « Forêts dans le changement climatique : nouveaux enjeux ».
Le bois est un matériau de construction séculaire qui a fait ses preuves. Aujourd’hui, grâce à la science, ses performances sont parfaitement caractérisées, et avec l’aide de la technologie, on sait le mettre en œuvre de manière optimisée, industrielle et sûre. Ses qualités historiques (facilité de transformation, légèreté et isolation) sont renforcées par sa capacité à absorber et à stocker à long terme du CO₂.
Son association avec d’autres matériaux tels que le béton et le métal ne fait que le sublimer. Son utilisation dans la construction, naturellement hors-site, favorise l’optimisation de matière ainsi que la réversibilité et la gestion de la fin de vie des bâtiments.
Financièrement, sa mise en œuvre rapide et sur une base industrielle offre des coûts maîtrisés, une immobilisation financière réduite. La future prise en compte du coût carbone réel, montrera les bénéfices de la construction bois.
En outre, dans un contexte de mondialisation, la construction bois participe à la souveraineté de la France en favorisant sa réindustrialisation et la création d’emplois peu délocalisables. Son développement est aussi urgent que bienvenu pour construire un monde plus durable et plus beau, à un juste équilibre entre sécurité, environnement et coût.
Histoire du bois dans la construction et état des lieux
Historique
L’homme construit en bois depuis des millénaires.
Des exemples remarquables de cette durabilité sont les églises norvégiennes qui témoignent de la résistance exceptionnelle du bois aux conditions climatiques sévères, préservant leur intégrité pendant plus de mille ans.
L’utilisation précoce du bois s’explique par sa disponibilité abondante, sa facilité de mise en œuvre par rapport à la pierre, ainsi que sa capacité à permettre des portées considérables en l’absence de métal. Dans les régions sismiques comme au Japon, le choix du bois était également motivé par sa capacité à mieux résister aux secousses sismiques.
Au Moyen Âge, le bois était le principal matériau de construction des habitations urbaines et rurales, notamment par l’utilisation généralisée de colombages. En plus de sa fonction structurelle, cette solution offrait des avantages en termes d’étanchéité et d’isolation, préfigurant ainsi les premières ossatures. Dans les hôtels particuliers en pierre, le bois était également utilisé pour ses qualités d’isolation et de confort, sous forme de boiseries en parement intérieur.
Avec l’avènement de la révolution industrielle, le bois a progressivement cédé du terrain, se limitant principalement aux planchers, aux menuiseries et charpentes.
Cette tendance s’est accentuée au début du XXᵉ siècle, avec la montée en puissance du béton dans la construction.
Le renouveau du bois
Bien avant la prise de conscience du changement climatique en cours et de ses conséquences, le retour du bois dans la construction s’est amorcé dès les années 1960-1970, pour répondre à la demande croissante de constructions rapides et préfabriquées pendant les Trente Glorieuses (logements pour jeunes actifs, salles de classe, etc.).
Cependant, c’est la flambée des coûts de l’énergie qui a véritablement mis en évidence l’intérêt de la construction à ossature bois pour ses qualités d’isolation thermique, permettant l’ajout d’isolants supplémentaires sans élargir les murs.
Initialement privilégiée pour des raisons techniques pour les maisons individuelles, la construction à ossature bois a progressivement conquis une part de marché de plus de 10 %, avant de s’étendre aux immeubles d’habitation de faible hauteur.
Pour permettre l’utilisation du bois dans des bâtiments de plus grande envergure, de nouvelles technologies ont été mises au point pour diviser les composants plus importants, assemblés et collés, éliminant ainsi les irrégularités naturelles du matériau. Cela a donné lieu au développement des poutres en lamellé collé, des panneaux en contrecollé ou en CLT – lamellé croisé… Ces innovations ont été accompagnées par des avancées dans la caractérisation, au travers de calculs et d’essais, qui ont permis de garantir l’emploi du bois dans la construction en toute sécurité.
Très vite le bois a alors pris des parts de marché importantes dans les équipements sportifs, les entrepôts, les hangars agricoles et bâtiments commerciaux…
Jusqu’à la prise de conscience des enjeux carbone pour la planète, la construction bois s’est principalement développée sur la base de la rapidité de construction, de la légèreté de ce matériau, de ses performances thermiques…
Le bois : la réponse incontournable aux enjeux carbone
Le XXIᵉ siècle est marqué par l’importance et les conséquences du réchauffement climatique, en lien avec les émissions de CO₂. Le secteur de la construction représente à lui seul 27 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont la moitié environ est liée au mode constructif et l’autre liée à l’usage (chauffage…) des bâtiments.
Le bois est naturellement apparu comme le matériau de référence pour décarboner la construction, grâce à sa capacité d’absorber le CO₂ contenu dans l’atmosphère, à le stocker sur une longue durée dans le bâtiment et à se substituer à d’autres matériaux très émissifs de CO₂. Sur ce dernier point, dès mai 2015, une étude du cabinet Carbone 4 note qu’une construction en bois permet de réduire de plus de moitié les émissions par rapport à la construction traditionnelle de l’époque.
Dans le même temps, des travaux ont été entrepris pour réduire l’empreinte carbone de l’ensemble des matériaux de construction. Les modes constructifs se sont orientés vers des solutions optimisées et frugales, par exemple avec des structures en poteaux et poutres.
En France, depuis 2021, la réglementation RE2020 établit une feuille de route avec des seuils à atteindre en matière de consommation énergétique, d’émissions et de stockage carbone pour les nouveaux bâtiments. Même si tous les matériaux devront contribuer à l’atteinte de ces objectifs, le bois restera le matériau de référence de la construction bas carbone et passive, c’est-à-dire à consommation d’énergie nulle.
Les différentes solutions bois dans la construction
La structure
Pour les bâtiments de moyenne et grande hauteur, ainsi que les bâtiments importants, les solutions poteaux/poutres en lamellé collé ou panneaux CLT (lamellé croisé), peuvent remplacer les structures traditionnelles en béton ou en métal.
Non exposées aux intempéries une fois la construction terminée, ces solutions sont robustes et offrent aux occupants l’esthétique, la chaleur et le confort (hygrométrie autorégulée) du bois apparent. Les performances mécaniques de ses solutions ont permis l’élévation, en toute sécurité, de plusieurs dizaines d’immeubles en France et dans le monde au-dessus de 10 étages.
Pour des immeubles de 2 à 5 étages, les murs à ossature bois peuvent être utilisés aussi bien en structure, qu’en enveloppe et en façade. Ce mode constructif représente plus de 80 % de la construction bois en France (habitations, école, tertiaire, santé…).
L’enveloppe
Principalement développées en ossature bois non structurelle, les enveloppes peuvent être installées sur des structures poteaux/poutre en béton, en métal ou en bois. Elles offrent légèreté, rapidité d’installation et performance thermique.
Elles sont adaptées aussi bien aux nouvelles constructions qu’à la rénovation thermique des bâtiments existants. Dans ce dernier cadre, les façades en ossature bois permettent une rénovation en site occupé, rapide et sans nuisance. Les façades, réalisées en usine, sont installées sur le bâtiment existant, toutes équipées de l’isolation, d’une nouvelle menuiserie et parfois du nouveau revêtement extérieur.
Construire en sécurité avec le bois
Les codes de calcul
Le bois, comme tous les autres matériaux de construction, est soumis à des normes et à des codes de calcul rigoureux en matière de résistance, qui ont été établis au fil des siècles. Grâce à l’approche scientifique, aux travaux de laboratoire et aux essais, les propriétés du bois ont été caractérisées avec précision, permettant de définir les limites de charge, d’efforts transversaux, ainsi que les performances thermiques, acoustiques et de résistance au feu.
Les référentiels utilisés sont alignés sur des codes européens (EUROCODE5) et bénéficient de l’expertise acquise par certains pays pionniers dans le domaine de la construction bois, tels que les pays scandinaves, l’Autriche et la Suisse.
Depuis plusieurs décennies, les logiciels de conception et de calcul 3D, souvent issus du secteur de la construction aéronautique, sont capables de dimensionner avec précision une charpente complexe et l’ensemble d’un bâtiment en intégrant les différents composants et matériaux (béton, métal, bois).
La résistance structurelle du bois bénéficie donc du même niveau de précision et de sécurité que les autres matériaux.
Le BIM
Contrairement à d’autres matériaux qui sont installés sur mesure sur le chantier, le bois se prépare et s’assemble en atelier. Des composants préfabriqués en bois, tels que les murs, les planchers, les caissons de toit et les modules, peuvent être livrés entièrement finis et intégrant de nombreux corps de métier (isolation, étanchéité, câblage, parements…).
L’intégration sans risque et sans ajustement sur le chantier est rendue possible grâce au Building Information Modeling (BIM), qui modélise numériquement tous les composants d’un bâtiment avant sa construction. La précision de la préfabrication bois, au millimètre près, garantit un calcul et un assemblage parfaits, permet le raccordement aisé des fluides et la continuité des parements.
Le multi-matériaux
Avec le développement des bâtiments de grande taille et de grande hauteur, le bois est souvent associé à d’autres matériaux tels que le béton et le métal, chacun utilisé en fonction de ses propriétés spécifiques. Le bois, qui offre des performances thermiques et environnementales élevées ainsi que légèreté et précision, est souvent complété par du béton pour sa rigidité, son inertie et sa résistance au feu. Dans le cas de grandes portées, le métal peut également être utilisé pour optimiser le dimensionnement des poutres.
La prise en compte du risque incendie
Tous les matériaux de construction ont des limites en ce qui concerne le feu. L’augmentation de l’épaisseur des isolants, tous relativement combustibles, et l’utilisation croissante du bois dans les bâtiments de plus grande hauteur ont incité les pouvoirs publics et les parties prenantes à mettre à jour les règlements et les systèmes de prévention et de protection incendie.
En ce qui concerne l’enveloppe et l’isolation thermique par l’extérieur des bâtiments, les dernières instructions fournissent diverses règles en matière de dimensionnement, de protection et d’écrans, dans lesquelles l’ossature bois s’intègre parfaitement.
S’agissant de la structure, de futures dispositions sont en cours de préparation. Les principes de sanctuarisation des évacuations, de durée de résistance des parois et des éléments structuraux sont compatibles avec la présence de bois, même visible. Le comportement au feu du bois est prévisible et parfaitement maîtrisé au niveau des calculs (confirmés par les essais). En cas d’exposition à la flamme, le principe d’auto-extinction du bois a été démontré (le bois brûlé forme un écran qui protège le cœur de la poutre). Il est à noter que sur les bâtiments de petite hauteur, inférieurs à 8 m, la plupart des règles en place ont fait leur preuve.
Durée de vie
Contrairement à une idée répandue, la construction en bois offre une durabilité et une résilience importantes. En plus des protections contre le feu disponibles et efficaces, il est essentiel de protéger les composants bois des intempéries, comme pour la plupart des autres matériaux de construction. Notons de plus que la construction en bois, grâce à son assemblage de composants, permet une remise en état facile en cas de sinistre, offrant ainsi une solution flexible et durable pour les bâtiments.
Un modèle économique vertueux
Délai
La construction bois, qui repose largement sur des éléments préfabriqués, permet une réduction significative des délais de chantier. Par rapport au béton, le bois ne nécessite pas de temps de séchage sur site. Les murs à ossature intègrent, en une seule opération, plusieurs corps de métier (structure, isolation, étanchéité, menuiserie, revêtements, câblage…).
La réduction des délais se traduit par une mise à disposition et des rentrées de loyers plus rapides, une immobilisation financière moins longue et surtout des frais de gestion de chantier moindres.
Une consommation matière et optimisée
S’agissant de la consommation de matière, il est à noter que « dans le bois, tout est bon ». Au niveau de la scierie, chaque élément issu d’une bille de bois est utilisé de manière optimale et hiérarchisée (bois de construction, bois d’industrie, fibres pour les isolants, produits chimiques dérivés du bois, bois énergie…). De plus, les technologies modernes permettent la production de composants en bois massif reconstitué (lamellé-collé, bois abouté, panneaux de fibres…), complétant ainsi la panoplie des produits de construction en bois massif, tout en réduisant encore la quantité de produits déclassés. Il est à noter également, que de très gros progrès ont été réalisés dans le recyclage du bois (emballage, mobilier, démolition), qui sont autant de moyens pour équilibrer le fonctionnement de la filière.
Enfin, lors de la transformation et de la préfabrication en atelier, la massification des flux et l’utilisation de composants primaires livrés au format (sans chutes) complètent ce processus industriel vertueux et frugal.
Ressources renouvelables et préfabrication française
La ressource forestière française est pour une bonne part en mesure de répondre aux besoins de la construction. En effet, la récolte forestière annuelle actuelle totale est de 52 Mm³, dont 21 Mm³ de bois d’œuvre parmi lesquels 15 Mm³ proviennent de résineux. La consommation de bois d’œuvre pour la construction/rénovation est de l’ordre de 5 Mm³ par an (source : étude Carbone 4, février 2024). Toutefois, une adaptation de la forêt en termes d’essences et de répartition pour suivre les usages et les impacts du changement climatique s’impose dès maintenant. Les importations de composants bois pour la construction sont principalement dues à un retard dans la mise en place de capacités industrielles pour le séchage, le rabotage et le collage du bois. Depuis quelques années, grâce à une forte mobilisation collective et à des investissements conséquents, la part du bois français progresse et continuera dans cette voie. Il est même envisageable de pouvoir disposer des produits les plus techniques sur le sol français dans les années à venir (panneaux LVL). Par conséquent, la construction bois constitue un levier important en faveur de la souveraineté nationale, de la réindustrialisation et de la création d’emplois peu délocalisables.
La construction hors-site réduit les aléas chantiers
La demande croissante de chantiers rapides et à faibles nuisances a suscité un intérêt accru pour la construction hors-site. Les collectivités et les riverains aspirent à des chantiers exempts de bruit, de poussière, de déchets et de flux de camionnettes. La construction modulaire 3D, forme la plus avancée de la construction hors-site, permet de livrer des produits entièrement finis, tant au niveau de l’aménagement intérieur que de la préparation des réseaux et des finitions extérieures. De nombreux projets, tels que des hôtels, des hôpitaux, des écoles et des résidences, ont déjà été réalisés. Ces applications ont été déployées avec succès, parfois même dans des bâtiments de grande hauteur.
Le composant de construction bois, ainsi mis en œuvre en atelier, garantit une haute qualité de réalisation, tout en éliminant un grand nombre d’aléas de chantier, de problèmes d’interface entre les différents corps d’état et en réduisant considérablement les réserves à la réception.