Nous n’utiliserons plus les mêmes matières pour construire, fabriquer ou consommer demain.
C’est particulièrement vrai pour le plastique. Majoritairement issu du pétrole, et donc émetteur de CO2, il est aussi très mal recyclé, et souvent retrouvé dans les océans où il pose la question de l’intoxication de la faune et la flore ambiantes. Quant à l’acier et au béton, leur production et leurs usages sont à réinventer : béton bas carbone, mixte bois / béton / acier, pour réduire l’empreinte carbone des constructions et minimiser leur impact sur le réchauffement climatique. Dans ce contexte, le bois fait son grand retour sur les chantiers, dans nos intérieurs et nos quotidiens. Car il a, entre autres, l’avantage de capturer le carbone.
Augmentation de la démographie mondiale, préservation des ressources naturelles, lutte contre le changement climatique, tout nous invite à produire et à consommer autrement. Pour ce faire, il est nécessaire de recourir à d’autres matières premières notamment. Et le bois a toutes les caractéristiques pour satisfaire les enjeux contemporains.
C’est le seul matériau de fabrication renouvelable présent massivement sur la planète. A condition bien sûr qu’il soit exploité de manière raisonnée pour assurer la pérennité des espaces forestiers. Car couper du bois n’est pas synonyme de déforestation quand cela consiste à accompagner le travail de la nature. Il s’agit alors de prélever les arbres à maturité pour favoriser le renouvellement de la forêt. Les jeunes arbres absorbent en effet beaucoup plus de gaz carbonique pour grandir que leurs aïeuls. Une forêt bien exploitée et renouvelée est donc un excellent moyen de lutte contre l’effet de serre.
A cet égard, la France et l’Europe sont exemplaires. Les réserves européennes s’établissent à 20 milliards de m3 et continuent d’augmenter de plus de 170 millions de m3 par an. En France, la surface occupée par les forêts a doublé depuis le milieu du 19e siècle pour atteindre 30% du territoire national.
De plus, le bois est aussi le seul matériau qui, pour être produit, n’émet aucun CO2. « Quand on met en œuvre un m3 de bois dans un bâtiment, on contribue à stocker l’équivalent d’une tonne de CO2 », explique Pascal Triboulot, ancien directeur de École nationale supérieure des technologies et industries du bois, et actuel président du pôle universitaire de Lorraine (INP).
Il n’est donc pas étonnant que les acteurs engagés dans des processus de production nécessitant de grandes quantités de matières premières se tournent vers le bois. A commencer par le secteur de la construction, responsable de 25% des émissions de CO2 de la planète.
Construire avec du bois : une évidence écologique et économique
Pour prendre le tournant, les acteurs du BTP sont donc mobilisés partout dans le monde. Début 2018, GA Smart Building a par exemple racheté le leader français de la construction bois, Ossabois. Il produisait déjà quelque 1000 logements en bois par an et plus de 2 000 modules à destination notamment des résidences d’étudiants, des internats et des hôtels. Et l’objectif est d’accélérer la cadence pour accroître le taux d’incorporation du bois dans la construction hexagonale, et rejoindre par exemple les pays scandinaves, très bons élèves en la matière (environ 35% du bâti y est en bois).
« L’intégration d’Ossabois nous permettra rapidement de proposer des solution mixtes bois / béton à nos clients et de nous développer sur le marché résidentiel sur lequel nous souhations accélérer. Le bois fera également diminuer l’empreinte carbone de nos chantiers et de nos réalisations », a expliqué Sébastien Matty, le président de GA Smart Building.
Et la construction bois hors-site représente un gain de temps sur le délai global de réalisation d’un projet. « Comme tout est réalisé en usine et en amont, les délais de chantiers se voient réduits de 30 à 60 %, souligne Michel Veillon, Directeur général d’Ossabois et Président de la Commission construction bois au sein du Comité stratégique français de la filière bois. Fabriquées hors-site, les constructions en bois occasionnent donc aussi de faibles nuisances sur chantier. Elles permettent de bâtir à des endroits où la construction traditionnelle ne le peut plus. C’est notamment le cas en milieu urbain, où les maires des villes se montrent de plus en plus réticents vis-à-vis des chantiers qui s’étalent sur un an et occasionnent de la poussière, du bruit et des embouteillages ».
Pour aller plus loin dans l’effort de diminution des émissions de la filière construction et augmenter la proportion de bois dans nos habitats, les experts notent par ailleurs qu’il faudra majoritairement utiliser des essences qui poussent à proximité des chantiers. Pour accompagner les acteurs du BTP en ce sens, des chercheurs de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) associés à l’institut géographique national (IGN) s’emploient à mieux connaître les forêts françaises. Ils viennent ainsi de dresser la première carte complète des arbres de France, la « Xylodensmap ».
« L’objectif est de valoriser les mesures de l’inventaire forestier national : une sorte d’Insee des arbres », a confié Jean-Michel Leban, directeur de recherche à l’Inra, au magazine Sciences & Avenir. Il « permettra d’identifier les essences et sera associé à une xylothèque comprenant des échantillons de bois “idéaux” sur lesquels les experts pourront visualiser l’anatomie des trois plans de coupe : transversal, tangentiel et longitudinal. Nous allons pouvoir prédire les propriétés d’un bois ».
Le quotidien se réinvente avec le bois
Si le secteur de la construction découvre ou redécouvre les propriétés et avantages du bois, il n’est pas le seul. Dans l’ameublement, ce matériau issu des forêts revient aussi en flèche. Loin d’être connoté « vieillot », il est ainsi l’un des constituants majeurs des décorations dites scandinaves.
Même les grands designers rompus aux matières synthétiques comme le plastique intègrent à leurs créations le bois. A l’image de Philippe Starck. Principal concepteur de meubles pour la maison Kartell, il a présenté, lors du dernier salon international du meuble de Milan, une gamme de sièges en bois. Dans une interview accordée au Point, il explique sa démarche : « Il ne faut pas perdre de vue qu’une pénurie de pétrole se profile. Or le pétrole, c’est le plastique. Il est fondamental d’anticiper sur l’ère post-plastique ». Avec son équipe, il a donc mis en œuvre une technologie capable de courber suffisamment le bois pour l’utiliser en assise. Et n’a fabriqué sa nouvelle collection qu’à partir de résidus de bois. « Je voulais créer des sièges en bois en n’utilisant qu’un minimum de matière et qu’ils soient à un prix abordable », précise le designer.
Dans les réflexions à l’œuvre sur la substitution du plastique, les fournisseurs de vaisselle, brosses à dents ou lunettes eux aussi s’intéressent au bois. Rappelons que pour les producteurs et distributeurs de gobelets, couverts et autres assiettes en plastique, il y a même urgence. La France les interdira ainsi à la vente dès 2020 et la Commission européenne travaille actuellement à un projet de directive visant à proscrire la vente de vaisselle en plastique à usage unique d’ici 2024.
Sans attendre, les solutions alternatives existent déjà. Elles s’adressent aux professionnels de la restauration, à la grande distribution alimentaire mais aussi aux consommateurs. On trouve ainsi sur internet ou les étals de supermarchés des assiettes en feuilles de palmier ou des couverts en bambou jetables mais compostables. Et l’offre de vaisselle réutilisable en bambou, bois d’érable, de merisier ou encore de hêtre se multiplie, avec un autre argument de poids en sa faveur : sa résistance aux chocs.
Même les fabricants de lunettes optent pour le bois. C’est le cas des sociétés Woodlun’s, Time for Wood ou 7plus par exemple. Cette dernière conçoit ses paires à partir de planches de skateboards recyclés. L’érable qui sert à la fabrication de skateboards hors d’usage obtient ainsi une seconde vie. Et, comme Time for Wood, elle ajoute à son offre de montures en bois, des montres en bois. De son côté, Caliquo, fabrique elle des manches et supports de brosses à dents ou de rasoirs en bois.
Autant d’exemples qui montrent que le bois, matériau de toujours, bénéficie aujourd’hui d’une attention nouvelle pour imaginer la production et la consommation responsables de demain.
Un article signé Usbek & Rica